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Channel: Mondes Sociaux » Esther Loubradou
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Quand la publicité enlève le bas…

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QUIZ_Des-hauts-ou-des-bas-dans-le-titre_4336 (2)Il est des publicités qui font date et dont on se souvient : le spot de Perrier (1976) évoquant l’éjaculation, ou la campagne de l’afficheur Avenir dans laquelle Myriam « enlevait le bas » en 4×3 dans les villes de France (1981) sont de celles-là. Le striptease publicitaire ne s’est pas arrêté là et aujourd’hui tout y passe : parfums, vêtements, électroménager, produits d’entretiens, alimentation, tous participent au Kâma-Sûtra médiatique, chacun choisissant son degré de sexe.

Pourtant, malgré la multiplication et l’intensification des connotations sexuelles dans la publicité qui auraient dû les interpeller, les sciences humaines et sociales françaises sont restées timides dans l’exploration des fantasmes publicitaires et de leurs effets supposés ou réels.

La Pub enlève le bas propose une découverte des nombreuses facettes de l’Eros publicitaire depuis l’hétérogénéité des messages et des connotations sexuelles utilisées, jusqu’aux dispositifs d’encadrement sociojuridiques et à la mise en exergue des enjeux du phénomène, en passant par ses aspects historiques et l’analyse des résultats scientifiques sur l’efficacité de ces publicités.

Campagne Avenir publicité, 1981
Campagne Avenir publicité, 1981
Loubradou E., 2015, La Pub enlève le bas, sexualisation de la culture et séduction publicitaire, Paris : Editions le Bord de l’Eau/INA, 340 pages.

Publicité sexuelle, sexiste ou pornographique ?

Loup des villes, loup des champs, Tex Avery

L’utilisation de contenus sexuels dans la publicité est un phénomène qui existe depuis très longtemps – pour ainsi dire depuis les débuts du marketing. Il renvoie à beaucoup de mythes (ils sont censés faire vendre) et d’idées reçues, notamment en France où cette question est souvent associée à celle du sexisme… ce qui est regrettable car ce n’est pas tout à fait la même chose de parler de rôles ou de stéréotypes sexuels et d’aborder la question de la sexualité et du désir sexuel à proprement parler.

44205Lorsque je parle de publicité sexuelle, je ne parle ni de publicité sexiste, ni de publicité pornographique, et pas seulement de « porno chic ». Tout d’abord, j’envisage la publicité sexuelle non comme se rapportant à la notion de sexisme ou d’image de la femme, mais bien à celle de sexe sous toutes ses formes. Certaines publicités sont sexuelles et sexistes, évidemment, mais l’idée est de se focaliser uniquement sur le premier de ces deux aspects, ce qui permet un nouvel éclairage.

Ensuite, si on laisse de côté les publicités pour des produits de l’industrie pornographique (DVD, magazines), il n’est pas réellement possible de parler de publicité « pornographique ». Je n’ai d’ailleurs pu en recenser que quatre ou cinq, sur un corpus de plus de 5 000 publicités ! Ainsi que le montrent les Porn Studies, la pornographie est un genre qui répond à une définition juridique particulière, à une logique psychosociologique propre et à des modes discursifs spécifiques. Les publicités sexuelles utilisent parfois les codes et conventions issus de la pornographie, mais ce n’est pas de la pornographie : il s’agit d’un sexe contenu dans le flux médiatique grand public qui met en scène des degrés de sexe plus modérés, qui s’impose à nous de façon plus insidieuse et dont chacun ne fait pas la même lecture.

Paveau M. A., 2014, Le discours pornographique, Paris : La Musardine.
Dubois F.-R., 2014, Introduction aux Porn Studies, Bruxelles : Impressions Nouvelles, coll. Réflexions faites.
Williams L., 2004, Porn Studies, Durham : Duke University Press.

Enfin, lorsque l’on évoque l’utilisation du sexe dans la publicité, on parle souvent de « porno chic », vague publicitaire propre aux grandes marques de luxe apparue en France au début des années 2000 et mettant en scène une hypersexualité, parfois violente. Pourtant, la publicité sexuelle ce n’est pas uniquement cela. Il y a bien d’autres expressions de la sexualité dans les discours publicitaires ! En témoignent les différentes classifications élaborées dans l’ouvrage en fonction de la manière d’utiliser le sexe, du degré de sexe, du média de diffusion, de la congruence sexe-produit, ou encore des pratiques sexuelles représentées. L’expression « porno chic » devient bien plus pertinente et représentative de la diversité des messages publicitaires à caractère sexuel lorsqu’elle est utilisée dans le sens du concept plus large de sexualisation de la culture développée par Brian McNair.

McNair B., 2002, Striptease Culture, sex, media and the democratisation of desire, New york : Routledge.
zizi_sexuel_affiche
Zizi sexuel l’expo, Cité des sciences, 2014/2015

Je définis la publicité sexuelle comme un message non pornographique contenant des informations à caractère sexuel dans le but de former, modifier ou renforcer des jugements, des affects, des représentations sociales et des comportements. Il peut s’agir de communications commerciales cherchant à faire vendre un produit ou un service, mais aussi de publicités servant de grandes causes sociales ou de santé publique avec un but de prévention (ex : lutte contre le Sida). Le sexe peut être connoté, suggéré, ou explicitement mis en scène. Le degré de sexe peut se mesurer par différents indicateurs : caractéristiques physiques des personnages, quantité de vêtements portés/la nudité, postures, évocation de diverses pratiques sexuelles, contacts entre les personnages, comportement plus ou moins sexuel et/ou suggestif, contexte, jeux de mots et sous-entendus…

Efficacité marketing et acceptabilité sociale

Face à la sexualisation de la culture, peut-on décemment (sic !) penser que la publicité ne parle pas de sexe ? Un sexe publicitaire tour-à-tour encensé pour sa valeur marchande ou divertissante, puis critiqué pour ses soi-disant effets néfastes… mais qui fascine par le regard privilégié qu’il porte sur les sociétés qu’il représente peut-être autant qu’il ne les influence, dans un jeu de miroir incessant.

Au-delà de la description et du classement typologique des publicités sexuelles, l’ouvrage propose donc de mettre à nu la relation communicationnelle producteur(s)-récepteur(s)-régulateur(s) en réfléchissant à l’influence et aux conséquences des publicités sexuelles sur le jeu social. A ce titre, les préoccupations autour de l’efficacité marketing de l’utilisation du sexe pour promouvoir toutes sortes de biens et services et celles sur l’acceptabilité sociale du phénomène sont centrales.

Dessin Patrick Mignard
Dessin Patrick Mignard

Est-ce que cela fait vendre ? La réponse est en réalité moins évidente qu’il n’y paraît. Elle résulte de processus cognitifs complexes impliquant de nombreuses variables liées au message (degré de sexe utilisé, congruence produit-sexe,…) et au récepteur (sexe, âge, culture, pratiques sociales…). Une revue de la littérature nord-américaine notamment à travers le courant Sex in Advertising, ainsi que la mise en place de plusieurs protocoles expérimentaux ont notamment permis de relever que si d’instinct on a tendance à croire largement aux pouvoirs du sexe – il ferait vendre tout et n’importe quoi –, les résultats scientifiques sont bien plus nuancés et les contradictions nombreuses d’une étude à l’autre. A première vue, cela fonctionne puisque le sexe permet d’attirer l’attention, de jouer sur les émotions des consommateurs et de se démarquer de la concurrence. Cela peut aussi parfois dynamiser l’image de marque, la rendre plus jeune ou véhiculer des valeurs particulières permettant aux individus de s’identifier et d’en tirer des bénéfices (par exemple, se sentir sexy). Mais en y regardant de plus près, le contenu sexuel distrait parfois le consommateur de l’argumentaire du message et le sexe utilisé de façon inappropriée ou avec des degrés de sexe trop importants pour la cible choisie semble au contraire provoquer un sentiment de rejet chez les consommateurs potentiels.

Capture d'écran publicité Interactive Toy
Capture d’écran publicité Interactive Toy
Reichert T., Lambiase J.J., dir., 2003, Sex in advertising. Perspectives on the Erotic Appeal, Mahwah, New Jersey : Lawrence Erlbaum Associates.

Est-ce que les gens sont choqués ? Si certaines publicités sexuelles qui jouent sur l’esthétisme ou utilisent l’humour ont un fort capital sympathie, d’autres n’ont pas le même accueil auprès du public et suscitent parfois des controverses… sans pour autant forcément desservir les marques, l’effet de « buzz » étant le plus souvent bénéfique, que ce dernier soit positif ou négatif. Des entretiens avec des professionnels de l’industrie publicitaire ou des instances de régulation ainsi que des enquêtes auprès des consommateurs réalisés pour les besoins de l’ouvrage montrent que nous ne sommes pas particulièrement choqués, mais que nous ne sommes pas pour autant prêts à tout voir (zoophilie, pédophilie…). En France, comme aux États-Unis, liberté sexuelle ne rime pas avec liberté totale de représentation et la liberté d’expression connaît ses limites : décence, dignité de la personne humaine, discrimination, obscénité et pornographie sont encadrées dans les différents médias. Entre autodiscipline, normes socioculturelles et normes légales, reste à trouver la meilleure gouvernance de ce type de contenu au vu des résultats scientifiques. A ce titre, il semble que la mise en place d’actions concertées avec une implication croissante des parties prenantes soit une manière judicieuse d’aborder l’éthique des publicités sexuelles.

Dessin Patrick Mignard
Dessin Patrick Mignard

Sexe publicitaire et recherche

Les sciences humaines et sociales ont encore du « grain à moudre » tant les questions sur les contenus sexuels médiatiques, publicitaires ou non, sont encore vives. En France, ils sont encore trop peu étudiés en tant que tels et lorsque le sexe trouve enfin sa place comme objet scientifique digne d’être analysé, il est souvent abordé sous l’angle du genre ou de la pornographie. En interrogeant les enjeux stratégiques, socioculturels, communicationnels et juridiques des publicités sexuelles dans les sociétés occidentales, cet ouvrage souhaite être un jalon utile pour la poursuite de recherches sur le sexe publicitaire : présentation problématisée d’un objet scientifique, références spécifiques à cette thématique et état du savoir scientifique, mise en place d’outils pour faire avancer la réflexion… La diversité des outils d’analyse utilisés associant approches théoriques, études empiriques quantitatives (enquêtes) et qualitatives (typologies, entretiens semi-directifs, focus group, observation participante) et méthodes expérimentales représente également une invitation à réfléchir différemment sur le sexe et à mettre en place des groupes de recherche interdisciplinaires. Plus largement, ce livre peut aussi intéresser les curieux et les passionnés de publicité qui prendront plaisir à découvrir des exemples concrets assortis de nombreux visuels provenant principalement de France et des Etats-Unis.

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L'hebdo hara-kiri n°57, 2 mars 1970
L’hebdo hara-kiri n°57, 2 mars 1970


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